Louis Aragon : Chant pour Slava
« Le 12 décembre 1970, à six heures passées du soir, pour Elsa Triolet, née Ella Yourevna Kagan, Slava alias Mstislav Rostropovitch (1927-2007), violoncelliste de renom, joua la Sarabande de Bach en présence de quatre personnes, à Saint-Arnoult-en-Yvelines, sous les hêtres de la Villeneuve devant le grand lit de pierre à deux places où je suis attendu. »
Ainsi concluait le poète Louis Aragon, « le fou d'Elsa ».
Quelques années plus tard, le 16 mars 1978, le Soviet suprême de feu-l'Union soviétique retirait, par décret, sa citoyenneté à Rostropovitch, pour « actes portant systématiquement préjudice au prestige de la nation soviétique. » Le 25 mars, « L'Humanité », organe central du Parti communiste français, publiait un poème écrit par Aragon, à la suite de ce fameux concert donné dans le parc du moulin de Saint-Arnoult. Il s'intitulait Chant pour Slava.
On en retient la conclusion :
« Joue encore pour moi Slava la Sarabande
Aux morts ainsi qu'un soir (Au bout d'un soir) à Budapest
Tu m'as joué je sais pour moi seul au fond de la foule caché
Cette plainte à mon image à jamais dont est faite ma nuit
Nous irons sur la tombe où dort mon immortelle
Dors crois-moi seulement ma Belle au bois dormant
Tu reprendras ce chant que tu jouas sans elle
Au loin près du Danube et qui la nuit dément
Ta main caressera les nerfs du violoncelle
Il saura me calmer tout bas en allemand
Pareil au bas-voler par quoi les hirondelles
Semblent parodier le parler des amants
Pour annoncer la pluie
Regarde mon ami notre grand lit de pierre
Où je m'irai coucher par un jour merveilleux
Près d'elle un lit profond profond où d'être deux
Sera doux comme avant et viendra la lumière
Lire d'un doigt de feu les mots prophétisés
Les doux mots bleus d'Elsa les mots inoubliables
Quand côte à côte nous serons enfin des gisants
Tu les entends ces mots ouvrir leurs primevères
Pour notre messe à nous qui n'aura pas de fin
Par toi qu'elle commence à la veille d'hiver
Charriant ton cœur lourd toi jusqu'ici qui vins
Assieds-toi sur le banc et devant nous ensemble
Pour toujours aujourd'hui sans plus attendre, joue ! »
L. Aragon
[...] « C'est où sans moi sans moi c'est où
Tu fais la route de toi-même
Sans moi partie oubliant tout
Oubliant même que je t'aime
Rouvre-moi ces yeux adorés
Pour que j'y retrouve ma femme
Rouvre tes yeux démesurés
À la mesure de mon âme »
(extrait : Les Yeux fermés in : Le Fou d'Elsa, Gallimard, 1963)
R : « Tu me fais crouler sous des chants d'amour/
Qui finissent emprisonnés dans des livres... » (Elsa Triolet)😀
- Elsa Triolet, femme de lettres et résistante française d'origine russe, sœur de Lili Brik, muse du poète Vladimir Maïakovski, est décédée le 16 juin 1970. Louis Aragon, son compagnon, l'a rejointe à la veille de Noël 1982.
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